Antananarivo,
Au lendemain des élections, tu sembles fatiguée. Tu portes ce silence étrange, celui des lendemains où tout change sans que rien ne bouge. Les résultats sont connus avant même que les bulletins ne tombent, mais toi, tu continues de respirer sous le poids des illusions brisées. Parce que, finalement, ce n’est pas pour eux que tu te lèves chaque matin, mais pour ceux qui font vivre tes rues, tes marchés, tes collines.
C’est à eux que je pense. Ceux que les urnes ignorent, mais sans qui rien ne tournerait. Les femmes qui foulent tes pavés avant le lever du jour, leur dos courbé sous des sacs trop lourds, l’odeur du vary amin’anana encore tiède flottant dans l’air frais. Les vendeurs d’oranges et de cigarettes, postés à l’ombre des mêmes bâtiments décrépis depuis des décennies, offrant des marchandises maigres mais un sourire sincère. Les enfants en uniforme, les pieds crottés, courant entre deux taxis-be, l’avenir accroché à un cahier à peine rempli.
Tu es une ville qui tient debout grâce à ceux qui n’ont pas le luxe de s’asseoir. Les mains calleuses des maçons qui bâtissent des maisons qu’ils n’habiteront jamais. Les petites mains invisibles qui lavent les sols dans les grands bureaux où d’autres prennent des décisions qui ne les concernent pas. Les chauffeurs, les porteurs, les rêveurs silencieux. Les oubliés qui, pourtant, n’oublient jamais de faire tourner la ville.
Antananarivo, ils ne parlent pas pour toi. Les mots de la politique n’ont jamais su te décrire. Car on ne parle jamais des collines, où les maisons montent comme des prières. On ne parle pas des trottoirs, de ces petits étals qui font vivre chaque rue. On ne parle pas de l’effort qu’il faut pour traverser une ville que rien n’apaise. Et pourtant, malgré tout cela, ou à cause de cela, ils t’aiment. C’est un amour qui ne s’écrit pas dans les journaux ni dans les urnes, mais dans les gestes répétés de ceux qui refusent d’abandonner.
Ceux qui te dirigent t’oublieront encore, comme ils l’ont toujours fait. Ils repeindront quelques murs pour les caméras, planteront quelques arbres pour les discours. Mais sous la façade, c’est toi qui sais. Toi qui comprends que les vrais rois ne vivent pas dans les palais, mais dans les cœurs fatigués des marcheurs de tes rues.
Et toi, Antananarivo, tu gardes la mémoire pour eux. Tu te souviens de tout : des mains levées pour se battre, des voix basses pour se réconforter, des foules silencieuses qui regardent un horizon que d’autres voudraient leur arracher. Tes pavés en savent plus que n’importe quel discours. Ils ont vu des générations tomber et se relever, sans jamais renoncer.
On dit souvent que tu es une ville laissée à elle-même, une capitale sans capitale. Mais moi, je sais ce que tu contiens : des résistances anciennes, des rêves neufs, et une dignité enracinée si profondément qu’aucun mandat ne pourrait l’effacer. Tes collines veillent encore, silencieuses témoins de ceux qui marchent jusqu’à ton sommet, sans jamais cesser d’espérer. Car dans tes entrailles de terre rouge, quelque chose résiste. Une volonté farouche. Celle de vivre, coûte que coûte.
Antananarivo, tu es imparfaite, bruyante, sale. Mais tu es aimée. Parce que tu es leur ville, la nôtre, malgré tout. Une ville qui n’appartient pas aux bulletins, mais aux pas de ceux qui la parcourent chaque jour.
Alors, que le sommet change de visage ou non, je sais que tu resteras la même pour eux. Une promesse rugueuse, un combat quotidien, un lieu où l’on apprend à aimer même ce qui fait mal.
Antananarivo, je pense à toi.
À tes rues, tes collines, et ceux qui te font vivre.
Avec toute ma tendresse,
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